Odai SAKER
©Justine Nerini
Odai SAKER
par Marion Saive
Figue de barbarie, pignons de pin, tamarin, noix de muscade, orange… Odai Saker joue avec les associations pour créer des cocktails inédits, toujours en lien avec ses origines.
Né en Syrie dans la province de Soueïda (1), Odai a grandi en Amérique du Sud sur la côte caribéenne, au Vénézuela. Pays qu’il a rallié avec sa mère quand il avait 5 ans, une fois que son père, parti quatre ans plus tôt de Syrie, a pu leur obtenir des visas.
C’est en 2021, lors d’une courte période transitoire en Guyane française (avec ses parents et son petit frère, ils ont dû franchir la dangereuse forêt amazonienne et affronter une violente tempête alors qu’ils traversaient l’Atlantique en canoë) que l’étudiant dentiste a œuvré pour la Croix-Rouge en tant qu’écrivain public bénévole. Et travaillé comme barman. Un job « pour dépanner » qu’il a finalement beaucoup apprécié et approfondi à son arrivée en métropole, dans divers établissements de la région lyonnaise. « Servir de la bière, ce n’est pas très intéressant, mais préparer des cocktails, bien plus. Je me sens comme un alchimiste », évoque le jeune homme de 25 ans aux bouclettes brunes, qui navigue désormais entre Paris et Lyon pour mener ses missions d’interprète judiciaire et médico-social. Quand il n’est pas en visite chez ses parents, installés à Montbrison.
Dernièrement en résidence dans la cantine solidaire du Faitout de la Mulatière avec sa maman, où le duo mère-fils a pu mettre en avant les plats traditionnels syriens (comme le mjaddara, « plat du pauvre » à base de lentilles, boulgour, oignons, huile d’olive et épices), c’est toutefois comme mixologue qu’Odai interviendra à l’occasion du Refugee Food Festival. Cette fois en solo, en collaboration avec le bar l’Abstract, basé à l’ouest des pentes de la Croix-Rousse (Lyon 1). Pour sa première participation à l’événement, l’aîné de la fratrie fourmille d’idées, emballé à l’idée de travailler des monochromes (distillats d’ingrédients uniques), spécialité des lieux. « Je ne veux pas tout révéler mais on a imaginé de sacrés mélanges qui rappellent mon histoire », se réjouit Odai, mentionnant des créations à partir de mangue et de chocolat ou de figues et pignons de pin.
« Penser et fabriquer des cocktails me rend heureux. Comme le fait de cuisiner rend ma mère heureuse. C’est d’elle que je tiens cette facilité à trouver des associations entre les fruits, les épices… », relate le diplômé du DU Dialogue – Médiation, interprétariat et migration de l’université Lyon 2, au moment d’énoncer ses compositions signature. À savoir, « le prince meurtrier » (liqueur de thé noir, cardamome, pignons de pin et noix de muscade, en rappel aux sultans qui utilisaient jadis cette épice comme psychotrope) ou encore « la campecina » (tequila, tamarin, orange), en hommage à la paysanne vénézuélienne qui lui offrait tous les jours une galette de maïs et un jus de tamarin en guise de petit-déjeuner.
Des rêves ? Odai, qui ne parlait pas un mot de français il y a trois ans, dit en avoir « plein ». Comme celui d’ouvrir un établissement, où sa mère s’occuperait de la cuisine et lui des cocktails. Ou de poursuivre son master pour obtenir son diplôme de dentiste. Mais pour l’heure, le jeune homme explique se heurter à de nombreuses barrières administratives et financières pour mener à bien ses projets. Et « emprunter une nouvelle trajectoire ».
*(1) Soueïda est un bastion de la minorité druze de Syrie, situé au sud-ouest du pays et actuellement visé par des attaques de groupes armés affiliés au pouvoir du nouveau président syrien, l’ex-djihadiste Ahmed al-Charaa, qui a renversé le régime de Bachar al-Assad en décembre.*
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